Gilbert
On ira tous au paradis...

Qu'est ce qui relie la chronique de cette semaine à celle publiée la semaine passée ? En fait, deux éléments : en premier lieu, un film, magnifique, évoqué à l'occasion de la disparition de Michel Piccoli, "Les Choses de la vie", de Claude Sautet et dans un second temps, un nouveau décès, celui de Jean Loup Dabadie, co-scénariste du film mais également auteur de la fameuse "Chanson d'Hélène'" ! Quelle étrange coïncidence ...
A l'âge de 81 ans, Jean-Loup Dabadie est donc décédé dimanche 24 mai, "mais pas du Covid-19", a précisé son agent Bertrand de Labbey. Il n'empêche que cela laisse comme un gouffre dans le monde du spectacle, en plus de l'Académie Française au sein de laquelle il siégeait depuis 2008. Car ce n'est pas uniquement le milieu du cinéma qui le pleure, c'est surtout le monde de la chanson. Car après avoir débuté sa carrière comme journaliste, il est devenu romancier, auteur de théâtre, de sketches et de scenarii, puis metteur en scène, mais Jean Loup Dabadie a surtout marqué toute une époque de chanteurs, ayant été un de paroliers les plus prolixes des cinquante dernières années : 476 œuvres ont été dénombrées à son répertoire !
A la fin des années 60, il écrit plus particulièrement pour Serge Reggiani - "L'italien"- qui fut son premier interprète, puis il enchaîne les compositions pour Michel Polnareff avec les chansons culte "On ira tous au paradis", "Holidays", "Dans la maison vide" ou "Lettre à France", puis pour Michel Sardou dans les années 80...

Mais c'est pour Julien Clerc à partir de 1976 qu'il sera un véritable créateur de succès, avec des titres comme "Partir", "Ma préférence", "Femmes... je vous aime" ou encore "L'Assassin assassiné". Il écrira aussi pour Johnny Hallyday, pour Régine, Enrico Macias, Jacques Dutronc, Richard Cocciante ou plus récemment Isabelle Boulay...
Pendant ces années, l'écriture de chansons de cet homme de lettres complet et boulimique ne l'empêche pas de continuer à écrire également pour la scène, des sketches pour Sylvie Joly, Jacques Villeret, Michel Leeb ou encore Muriel Robin. Il faut dire qu'il avait fait ses classes en 1962-63 en la matière en rencontrant Guy Bedos.
Pour le cinéma, c'est surtout dans les années 70 qu'il collaborera comme dialoguiste ou scénariste sur une quarantaine de longs métrages jusqu'en 2018, où il avait signé le scénario du "Collier Rouge" de Jean Becker. Outre ses multiples collaborations avec Claude Sautet ( "Max et les ferrailleurs", "César et Rosalie", "Les Choses de la vie", "Une histoire simple", "Garçon", Jean Loup Dabadie a travaillé avec Yves Robert "Un éléphant ça trompe énormément" (1975) et "Nous irons tous au paradis"(1976), François Truffaut ("Une belle fille comme moi" en 1972), Claude Pinoteau ( "Le Silencieux "en 1973 , puis "La gifle" en 1974) ou encore Philippe de Broca ( "Chère Louise" en 1972). Les années 80 ayant été moins porteuses de ce type de cinéma, le nom de Jean Loup Dabadie s'est fait plus rare au cinéma avant les années 2000. Mais on apprend qu'il venait de terminer l'adaptation pour le cinéma du roman de Simenon "Les volets verts", dont le premier rôle devait être tenu par Gérard Depardieu.
Jean Loup Dabadie est né le 27 septembre 1938. Il passe son enfance à Grenoble mais revient à Paris pour suivre ses études, qu'il termine dans les prestigieux lycées Janson de Sailly et Louis le Grand, puis à la Sorbonne. L'été de ses 18 ans, il est stagiaire au Théâtre National Populaire (TNP) de Jean Vilar, pour le festival d'Avignon. C'est dès cette époque qu'il prend un réel goût pour le spectacle. Puis très tôt, à 20 ans passés, l'écriture le démange et il publie successivement deux romans, "Les yeux secs" (1957) et "Les Dieux du foyer" (1958), et collabore à la revue "Arts et spectacles", dans laquelle il signe des articles. Ce sont ces articles qui vont susciter l'intérêt du patron de presse Pierre Lazareff, qui va l'embaucher comme journaliste. Puis ce seront les rencontres avec Philippe Sollers et Jean-Edern Hallier avec lesquels il collaborera sur la revue 'Tel Quel', puis des critiques de films et des reportages pour "Art" et enfin la rencontre décisive de Jean Christophe Averty et le début des écritures des sketches....
Pendant plus d'un demi -siècle, Jean Loup Dabadie a promené sa silhouette de jeune premier tiré à quatre épingles dans le paysage culturel et notamment à la télévision où il était un habitué des plateaux notamment en invité régulier de Michel Drucker ; Et pourtant, il laissera le souvenir d'un homme souriant mais très discret, dont les répliques faisaient néanmoins mouche tout en restant bien à l'écart du monde du show business. Il argumentait que "le métier de scénariste doit se faire dans une ombre infinie".
Un vibrant hommage lui a été rendu par son filleul Nicolas Bedos ; on l'espère bien arrivé au paradis.